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Alain Malardé : « S’il a sombré par l’arrière, c’est parce qu’il a accroché quelque chose. »

jeudi 3 août 2006
Libération

Pêcheur et président de la Confédération maritime de Bretagne, joint par « Libération » sur son bateau au large de l’île de Groix, il revient sur le naufrage, la nuit dernière, du chalutier « Déesse des flots ».
Par Matthieu ÉCOIFFIER
LIBERATION.FR : Jeudi 3 août 2006 - 15:17
Comment un chalutier de 10 mètres de long peut couler en s’enfonçant par l’arrière ?
S’il a sombré par l’arrière, c’est parce qu’il a accroché quelque chose. A l’arrière, il y a des câbles de traction, qu’on appelle les funes : ils font trois fois la hauteur d’eau. Sur des fonds d’environ 30 mètres qu’il y a à cet endroit-là, il avait 100 mètres de câble. S’il a « collé » par l’arrière avec ses câbles, c’est soit parce qu’il a fait une croche (accrocher une roche, ndlr), soit parce qu’il a accroché un sous-marin. Quand ils pêchent, ils ne vont pas vite, le bateau marche à trois nœuds. Quand il fait une croche, le bateau lève du nez, on appelle ça « sancire » et l’avant passe par dessus l’arrière.

Il y a deux ans, le Bugaled Breizh basé au Dillevinec a coulé de cette façon là : il s’est avéré que c’est un sous-marin britannique qui l’a accroché. Le BEA mer doit d’ailleurs rendre son rapport en septembre. Cela a été aussi le cas, il y a cinq ans pour le chalutier Lan Orient. Cette fois, la responsabilité de l’armateur, Intermarché, est engagée. Ce bateau, trop chargé à l’arrière avec de nouveaux filets, était déséquilibré. Auparavant, on embarquait deux à trois tonnes de glace : cela permettait de peser dans le fond du bateau et créait un « couple de redressement » pour contrebalancer tout le matériel qui pèse sur le pont et constitue le « couple de chavirement ». Or, Intermarché avait remplacé la glace par des frigos, plus légers et placés plus haut, qui ont modifié le centre de gravité du chalutier. L’eau s’est engouffrée dans le local machine et il a coulé. Dans ce cas, l’armateur n’a pas respecté l’équilibre général du bateau, le procès aura lieu à l’automne pour déterminer les responsabilités.

Deux marins du « déesse des flots » ont été repêchés, deux autres sont encore manquants. La mer est très forte, mais l’eau à 18°C en cette saison accroît-elle leur chance de survie ?

Le problème, c’est qu’il s’agit de marins pêcheurs, pas de baigneurs sur la plage en maillot. Lorsqu’ils tombent à l’eau, avec leur ciré et leurs bottes, ils pèsent plus de 100 kg. Nager avec les poches et les bottes pleines d’eau, c’est quasi infaisable. S’il n’arrive pas à retirer ses bottes, ils est entraîné vers le fond. L’espoir, c’est de se raccrocher à des bois, des ballons de défense qui flottent à la surface et de tenir là-dessus. La température de l’eau, ça aide, mais ce qui joue le plus, ce sont les conditions dans lesquelles ils étaient au moment de l’accident.

Après l’accident qui a coûté la vie à Edouard Michelin et au patron-pêcheur de so bateau, ce nouveau drame. Y a-t-il de plus en plus d’accidents de chalut ?
Non. C’est juste qu’on en parle plus depuis la marée de noire de l’Erika, qui a sensibilisé l’opinion publique et les médias. Avant, cela restait dans un milieu fermé. L’histoire de Michelin est simple : le patron pêcheur ne voulait pas sortir, il y avait beaucoup trop de brume. Mais son coéquipier, du fait de sa position sociale, a insisté. Au raz de Seing, il y a plein de courants et des cailloux partout : on l’appelle la baie des trépassés. Dans le chenal, il suffit de s’écarter de 50 mètres, ce qui n’est rien en mer, pour se retrouver dans les cailloux. Cela fait trente-cinq ans que je suis sur l’eau, et le pire c’est l’absence de visibilité. Le mauvais temps, cela se maîtrise. Sur ces petits bateaux de 9-10 mètres, il n’ont pas le GPS avec cartographie, les radars qu’on a sur les plus gros.

En revanche, vous dénoncez une dégradation de la sécurité de la marine marchande…
Dans la marine marchande, il y a plus d’accidents car le respect de la mer n’est pas pris en compte. Les armateurs ne sont plus des marins, mais des groupes bancaires et des fonds de pension. Cela se voit : on va vers le moins-disant social, salarial et fiscal, un déficit d’entretien des bateaux et de formation des équipages. On rogne sur la sécurité. D’où l’Erika, le Prestige et beaucoup d’autres.


Voir en ligne : http://www.liberation.fr/actualite/societe/196927.FR.php