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TRANSPORTS. MARÉE NOIRE. Le 12 décembre 1999, le naufrage du pétrolier maltais Erika provoquait une catastrophe écologique majeure.

mardi 12 décembre 2000
L’Humanité

LES MAUVAIS COMPTES DU FIPOL

Un an après le naufrage, les plaies ouvertes par la marée noire sont loin d’être refermées. Et les indemnisations tardent : seuls 40 millions de francs (sur 1,2 milliard) ont été versés aux professionnels du littoral par le FIPOL. Décryptage.

QUEL EST L’ÉTAT DU LITTORAL ?

Si les plages de sable en Loire-Atlantique ne posent globalement plus de problème, la situation des rochers demeure préoccupante. " Aujourd’hui, explique Gilles Allard, du Comité départemental du tourisme, plus de 700 personnes sur le département sont encore mobilisées pour nettoyer certains secteurs au Kärcher. Il s’agit d’un travail plutôt difficile, sachant qu’il est effectué en falaise, à une hauteur de 6 à 7 mètres. " L’objectif est de parvenir à une dépollution complète de la côte fin février ou début mars.

COMBIEN VA COÛTER LA CATASTROPHE ?

La semaine dernière, le Conseil économique et social a évalué le coût de la catastrophe à quelque 3 milliards de francs. Cette somme comprend le nettoyage des côtes, le traitement des déchets et l’indemnisation des victimes. Première source de revenu, dans la presqu’île de Guérande et le long de la côte vendéenne, principales zones touchées, le tourisme a été particulièrement frappé, avec une perte de revenus de l’ordre de 15 % à 30 % sur l’ensemble du littoral. Pour le département de Loire-Atlantique, la baisse de fréquentation a été de l’ordre de 18 %. Pour la Vendée, cette dernière a été de 10 % à 15 %, " un chiffre non négligeable, ajoute François Riou du CDT de Vendée, quand on sait que le chiffre d’affaires dans ce département représente de 10 milliards à 12 milliards de francs et représente 20 000 emplois. " Autre secteur touché, celui de la récolte du sel où les dommages liés au naufrage de l’Erika sont évalués à 80 millions de francs.

QUAND ET COMMENT SERONT INDEMNISÉES LES VICTIMES ?

Cette question n’en finit plus de hanter les esprits le long de la côte Atlantique, tant le Fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (FIPOL), émanation des grandes compagnies pétrolières, a fini par faire l’unanimité contre lui, à force de freiner des quatre fers. À ce jour, seuls 40 millions de francs ont été débloqués, contre 1,2 milliard promis. Il faut dire aussi que les démarches à entreprendre pour bénéficier d’une indemnisation s’apparentent à un véritable parcours du combattant. Dossiers renvoyés à plusieurs reprises auxquels il manque toujours quelque chose, lettres adressées en anglais, etc. De l’avis de nombreux professionnels du littoral, tout se passe en fait comme s’il s’agissait de décourager dans leurs démarches le plus de sinistrés possibles. " Dans la plupart des cas, les experts du FIPOL se sont attachés à minorer les dommages, estime Jacques Sourbier, ostréiculteur à Noirmoutier et responsable du Comité régional de conchyliculture pour la région Pays de la Loire. Qui plus est, rien n’est jamais fixé par écrit. Résultat, ce qui a été décidé la veille n’est pas appliqué le lendemain. Sans les avances de trésorerie consenties par l’État et la région, nous serions trois mètres sous terre à l’heure qu’il est. "

L’EXEMPLE DES PALUDIERS DE LA PRESQU’ÎLE DE GUÉRANDE

Plus fort encore, le FIPOL n’a pas hésité à assigner en justice les membres de la coopérative des producteurs de sel de Guérande. Objectif de cette démarche, prouver que la récolte de sel lors de l’été 2000 était possible. Un argument qui, pour Charles Perraud, directeur de la coopérative, est incompatible avec le principe de précaution. " Nous avons pris la décision de ne pas récolter le sel cette année pour trois raisons. Premièrement, pour éviter de laisser l’eau de mer polluée par le fioul pénétrer dans le marais. Deuxièmement, pour ne pas récolter du sel impropre à la consommation et, enfin, pour préserver l’image de marque du sel marin de Guérande. " Autre objection avancée aux paludiers, leur désir de ne pas récolter le sel en l’an 2000 serait avant tout motivé par le désir de dégager des stocks amassés les années précédentes. " Quand on sait que le sel met un certain temps à s’égoutter, on comprend que l’on ne peut pas faire ce métier sans constituer des stocks. On nous reproche aussi d’avoir voulu monter un coup médiatique. Bonjour le coup de pub à 80 briques ! " Si les paludiers ayant pu constituer des stocks ne sont pas aujourd’hui en difficulté, ces dernières sont prévisibles dans les prochains mois si rien n’est débloqué, une situation d’autant plus inquiétante que le conflit entre les paludiers et le FIPOL ne devrait pas connaître d’issue avant avril ou juin 2001.

COMMENT CONTRE-ATTAQUE LE FIPOL ?

Début décembre, le FIPOL a fait valoir que le bureau des demandes d’indemnisation Erika de Lorient avait reçu quelque 2 950 demandes et que 1 770 d’entre elles avaient été évaluées par ses experts. Au 4 décembre, 1 460 demandes représentant un total de 113 millions ont été approuvées par le FIPOL. Pour justifier les retards, l’organisme rappelle que, depuis septembre, le nombre de dossiers traités est allé en augmentant. Étalées sur une période de trois ans, les indemnisations se montent à 50 % du préjudice subit par chaque demandeur. Un argument qui fait bondir Alain Malardé, responsable de la Confédération maritime, une organisation qui rassemble les professionnels de la mer, (ostréiculteurs, pêcheurs, etc.) : " Comment accepter qu’une société qui cause un préjudice s’arroge le droit de limiter son indemnisation ? "

LE GROUPE TOTALFINA ASSUME-T-IL SES RESPONSABILITÉS ?

Un milliard de francs. Voilà ce que devrait débourser la première entreprise de France pour avoir affrété un navire, certes bardé de certificats, mais manifestement sous-normé, capable en tout cas de se casser en deux dans une tempête qui était loin d’être la tempête du siècle. Sûr de son bon droit et d’une maladresse insigne, Total a cru, dans les semaines qui ont suivi la catastrophe, pouvoir se cacher derrière une réglementation maritime totalement surannée. Avant de céder sous une triple pression, citoyenne, médiatique et gouvernementale. " Avant l’Erika, nous pensions que le système mis en place par le FIPOL fonctionnait. C’est pourquoi nous avons adopté après la catastrophe une attitude rationnelle et plutôt confiante, expliquait récemment Bertrand Thouilin, directeur des transports maritimes chez TotalFina, lors d’un récent colloque à l’Assemblée nationale. Mais quand celui-ci s’est mis en vacance pour une semaine le lendemain de l’arrivée du pétrole sur les côtes, nous avons compris qu’il faudrait se mobiliser nous-mêmes. " Et mettre la main à la poche, sans accepter toutefois de reconnaître clairement la responsabilité de l’entreprise Total.

" Nous ne sommes que des affréteurs, certes richissimes, mais qui ont un rôle de second plan dans la sécurité maritime, plaidait encore hier le porte-parole du groupe Thomas Fell. Tant qu’on ne s’occupera pas des sociétés de classification et des armateurs, on n’aura rien réglé des problèmes de ce secteur. "

COMMENT RÉAGISSENT LES VICTIMES AUX LACUNES DANS L’INDEMNISATION ?

Outre la commune de Mesquer, déboutée de son action contre Total, la Coordination maritime vient de porter de plainte contre le FIPOL pour " escroquerie et abus de confiance ". Au nombre des griefs de la Coordination figurent les nombreux dysfonctionnements du FIPOL. " Les expertises non contradictoires sont le fait de personnes nommées par le seul FIPOL, accuse Alain Malardé. Enfin, comment accepter qu’une structure, quelle qu’elle soit, puisse prendre des décisions qui sont sans appel ? " Du côté du gouvernement, on fait remarquer les efforts consentis. En déplacement sur le littoral le week-end dernier, Dominique Voynet a vertement rappelé l’organisme à ses devoirs. Car, contrairement a ce qu’avance le FIPOL, les conséquences en cas de retard dans le versement des aides risquent à terme d’être dramatiques pour nombre d’entreprises artisanales qui commencent à ressentir le contre-coup de la catastrophe. Au mieux, l’État sera amené à mettre la main à la poche ; au pire, les aides enfin débloquées arriveront trop tard.

Michel Clerget

et Alexandre Fache


Voir en ligne : http://www.humanite.fr/journal/2000-12-12/2000-12-12-236239